Janvier 1975 – Michel Rocard n’a pas de mandat, mais il veut être maire. Un pacte avec son épouse le conduit à choisir une ville près de Paris. Ils choisissent Conflans-Sainte-Honorine, capitale de la batellerie. Il est élu avec 54% des voix. Il reçoit les doléances des 600 bateliers retirés, puis celle des actifs. « Ils m’expliquent que la voie d’eau est condamnée. Que la France n’a plus fait un seul canal depuis la fi n du programme Freycinet en 1905 ». Au cours du XXe siècle, le volume de trafic transporté par la voie d’eau n’a cessé de diminuer. « Personne ne me connaît, mais la profession batelière accepte de se rencontrer chez moi. On fait appel à des géographes universitaires. On s’aperçoit que c’est presque sans issue, qu’on ne peut pas espérer budgétairement que le pays prenne en charge l’entretien des canaux.»
Les professionnels de la batellerie sortent alors un vieux projet de leurs cartons : le creusement d’un canal à grand gabarit qui désenclaverait le bassin de la Seine et donnerait naissance à un réseau européen allant de la mer du Nord à l’Ouest jusqu’à la mer Noire à l’Est, en passant par l’Europe centrale, soit un réseau de voies navigables européennes de près de 3 000 km. « Le projet n’était pas instruit. Nous nous rallions et concluons un accord en 1978.». Il restait maintenant à convaincre « dans un pays qui a oublié la voie d’eau, où il n’y a plus personne pour s’en occuper, où l’administration n’y pense plus, où il n’y a plus d’ingénieur en chef des Ponts qui s’y connaisse ou ait même le goût d’y travailler. Il nous restait les égarés de la profession qui travaillaient à l’Office national de la navigation ».
Mai 1988 – Michel Rocard est nommé Premier ministre. À Conflans-Sainte-Honorine, il reçoit de nouveau les professionnels de la batellerie très en colère. Le Premier ministre se tourne alors vers son ministre des Finances, Pierre Bérégovoy, qui lui répond : « On ne peut pas, ce n’est vraiment pas possible.» Une porte se ferme, il faut en ouvrir une autre. Et pourquoi pas une taxe hydraulique à l’image de la taxe d’aéroport ? Si l’une représente la contribution des compagnies aériennes à la construction et à l’entretien des aéroports, l’autre pourrait couvrir l’entretien, l’exploitation et le développement des voies navigables. EDF, gros utilisateur fluvial, devrait également être mis à contribution. La Cour des comptes n’aime pas ça. « Nous piétinons dans la choucroute pendant deux ans », concède l’ex-Premier ministre.
18 juillet 1991 – Voies Navigables de France (VNF) voit le jour par décret. Cet établissement public regroupe les missions de gestionnaire de l’infrastructure et celles liées au transport fluvial. « L’histoire est prise en mains par VNF, ils ont été remarquables. Ils reprennent le schéma Seine-Nord et on commence à bosser.»
Voilà pour la genèse du projet. Depuis l’eau a coulé. Mais certains se sont battus sans relâche et sans complexe. Le Pays Neslois puis l’Est de la Somme en font partis.